Impuissance

Publié le par Michel David

Le lundi 16 janvier, je serai opéré à la clinique Turin ( Mirage à l'italienne) de mon cancer à la prostate. Les nerfs érectiles passeront avec l'ablation de la prostate par robot assisté. Dès lors, je serai impuissant.

La malléabilité de l'esprit est sidérante. Même si je le savais déjà intellectuellement, vivre une expérience comme celle-là rend presque du jour au lendemain évident ce qui aurait été refusé violemment la veille.

Je me souviens très bien de ce jour que j'ai déjà raconté où j'ai eu la certitude d'avoir un cancer, alors que je le savais intimement. Lors des explications fournies par le chirurgien une semaine après l'annonce, alors que l'IRM n'était pas faite et que donc la localisation exacte du cancer n'était pas connue, le Dr Dumonceau avait évoqué le fait que les nerfs érectiles pourraient être touchés. Presque par pur réflexe, j'avais dit alors que je voulais les conserver. Je me souviens très bien; j'ai dit "voulais", pas "souhaitais".

Cinq semaines après, quand l'opération a été programmée, j'ai rendu les armes de moi-même; mon esprit était fait à l'irréversible, à l'inéluctable.

Parce que c'est bien là le fond de l'affaire.Comme la mort, cette opération est irréversible. Au fond, toute sa vie, on vit en permanence dans la contradiction de savoir que la mort nous attend et dans l'inconscience réelle qu'il y a un moment où elle arrive. On se rassure en se disant qu'elle peut arriver brutalement, par accident.

Je ne mourrai pas le 16 janvier (normalement!), mais ce jour là je sais désormais qu'il me manquera définitivement une puissance réelle et symbolique.

Depuis deux mois, je m'en veux de ce que je pense. Je m'en veux d'être centré sur ma petite personne. Je m'en veux d'y penser tous les jours en ce moment. Le 16 décembre au soir, j'étais à Chaillot voir la dernière création de Forsythe et j'ai très mal suivi, parce que je pensais "plus qu'un mois". Je n'ai jamais été extraverti; mais je supporte mal que mon esprit m'impose d'"y" penser, je supporte mal une introversion encombrante.

Et je déteste encore plus les subterfuges qu'il (l'esprit) met en place, insidieusement. Et, même si ces subterfuges ne font que faire ressurgir ce que j'ai toujours pensé, je n'aime pas me voir y penser en ce moment.

Sans doute - sûrement- pour partager de force la solitude de cette impuissance et amoindrir ainsi la douleur, je relie cette proche impuissance à l'impuissance politique et professionnelle.

Impuissance politique: le degré zéro auquel la classe politico-médiatique est arrivé ( l'épisode du sale mec, par exemple, et la fabrication d'une fausse info par les journalistes) me fait penser qu'il y a un moment ( et je ne sais pas quand, ni si je le verrai, ni, si je le vois, je serai capable de l'analyser) où une révolte à venir se transformera en révolution. Où la fin de règne, où l'impuissance créeront le séisme.

Impuissance professionnelle: il ya quand même bien longtemps que je sais que, à force d'être dans la marge, Zeugma Films peut verser dans le fossé. Défendre une ligne claire, un type d'écriture, c'est bien sûr engager autour de soi des complicités, des amitiés, des films forts et originaux. Mais c'est aussi avoir l'impression de crier dans le désert.

Tout celà peut paraître bien sombre, pessimiste. Malgré ma peur de ces jours présents, je ne crois pas être déprimé. Peut-être que le séisme qui m'attend le 17 janvier me fera découvrir des sensations nouvelles, une accrue capacité de révolte qui se traduise en espoir, que j'ai toujours chevillé au corps ( et à l'esprit!) et qui pourrait se résumer ainsi:

malgré les vents contraires, "on les aura".

 

PS Ayant fait un peu de rangement avant mon départ en vacances, j'ai constaté qu'il me restait, d'une vie antérieure, un peu plus de dix préservatifs, apparemment bien conservés et en état de marche. Ne sachant pas utiliser e bay, que dois je faire?

PS 2 Je constate que mon cancer n'est pas aussi médiatique que celui de Jean-Luc Delarue. C'est sûrement dû au fait que je ne suis pas toxicomane.

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