Langues O

Publié le par Michel David

Depuis longtemps, je m'amuse à raconter ce qu'est un Zeugma.
La société de films documentaires Zeugma Films existe depuis 1 996, et en tout ce temps, trois personnes ont pu me dire  ce qu'est un zeugma. J'avais choisi le nom parce qu'il commençait par un Z et parce que c'était un mot compliqué, partant sur un chemin de traverse.

Aux antipodes de tout ce qui est trop facile, trop réducteur ou que je juge totalement fade.

Etre à hauteur d'homme, faire confiance à la compréhension, ne pas chercher un nom passe partout, ou joli, ou pédant ou inspiré.

A propos de hauteur d'homme, je viens de voir des rushes filmés sur la place Tahrir. ( Je ne devrais pas le dire, puisque je suis membre d'une commission et que c'est pour ça que je les ai). Ce n'est pas organisé, ce ne sont que des rushes, mais pourquoi faut il qu'on ait immédiatement l'impression d'en voir beaucoup plus que tout ce que les journalistes nous ont "montré"? Justement parce que la caméra enregistre humblement ce qui se passe et qu'il n'y a pas une voix pour nous imposer un discours à la place de.

Mais aujourd'hui, à propos de zeugma, j'ai envie de parler de langue. Je ne m'étais pas relu depuis longtemps ( deux fois cette même locution dans cet article!). Et je revisite ainsi mon goût immodéré pour les adverbes.

Dans le blog du 28 mai, j'ai fait très fort: Je me suis très souvent blessé, heureusement jamais gravement. Neuf mots dans la phrase, cinq adverbes. Chapeau!

Pourquoi?Je ne sais pas; j'aimerais bien bâtir une théorie dessus, dont je ne saurai même pas moi même si elle est juste, si j'y crois ou si je ne veux pas m'en persuader.
Peut-être (peut-être?) est ce dû à une réserve instinctive pour l'adjectif, toujours inutilement (2!) décoratif, platement illustratif.

Je sais qu'il y a des mots ou des objets dont je me méfie, des tournures, des postures qui m'intriguent, qui me gênent; parfois me paralysent.

J'aime les mots déglingués; je n'aime pas les mots ou objets qui se résument à leur fonction.
Dans le blog "moi et les objets" j'ai omis de faire un sort au parapluie, objet de protection ( donc déjà suspect) parfaitement inutile. J'en ai acheté un  ( 10 livres sterling!) à Belfast, où j'étais le week end dernier. Il pleuvait à verse. Il m'a été utile une heure; le reste du temps a été médiocre, mais pas suffisamment pour que cet objet serve. La productivité du parapluie est donc nulle, comme dire d'une rose qu'elle est rose.

J'adore écouter dans le métro les gens parler.
Je sais que c'est facile de se moquer du parler jeune. Je ne pense pas ici aux formes qui sont un code social fait pour exclure ou se protéger: le parler verlan par exemple, qui permet d'échanger sans que les adultes puissent suivre la conversation.

Non, je pense à des mots. J'en cite deux exemples.
Trop. Un adverbe, mais qui a remplacé très. Je ne suis pas très heureux, je suis trop heureux. Bizarre? Serait-ce parce que le très est très? Très c'est de l'ordre de l'immense, de ce qui dépasse, transcende. Trop, c'est plus modeste, du débordement certes, mais dans une limite convenue. Les jeunes utilisateurs de trop seraient ils d'accord si je leur disais qu'ils ont peur du très?

La personne. Le mot impersonnel par excellence. En un sens, ce mot est un progrès. L'indifférenciation du mot ( la personne, et pas un homme, une femme, un beur, un Noir, un juif, un grand, un mal foutu) pourrait laisser penser (trois verbes de suite) que les jeunes considèrent la  personne comme une personne en soi. Dans sa personnalité, plus riche, plus complexe que sa "qualité" la plus immédiatement reconnaissable et à laquelle elle ne saurait se résumer. Et pourtant, ce mot me gêne, parce qu'il est neutre, parce que, même si ce n'est pas voulu, il est politiquement correct.

Bien difficile. Ou plutôt, comme le zeugma, bien riche. Notre langue O est malléable, et je suis sûr que toute autre langue l'est aussi.

Souvenir de jeunesse. En quatrième, puisque j'étais un élève brillant, j'ai fait du grec ( au détriment de toute langue "étrangère"). J'ai adoré cette langue morte, très utile parce qu'inutile. Un camarade que j'avais connu en cinquième est arrivé (il avait été malade) avec trois mois de retard; au bout de quinze jours, il nous damait le pion. Ce fut très frustrant, puis très stimulant.
Je ne l'ai jamais revu, mais je sais qu'il a fait Langues O.

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