Le muet

Publié le par Michel David

Je continue de revisiter un des souvenirs marquants de ma vie, que j'ai déjà raconté, celui d'avoir organisé une projection sur un immense écran en plein air devant la rosace de la cathédrale de Reims de la "Jeanne d'Arc" de Dreyer, dont la Cinémathèque française avait récupéré d'un collectionneur norvégien la version première que tout le monde croyait perdue.

Et de voir, sous une pluie battante, les voitures tous phares allumés s'arrêter pour voir un film muet.

Un ami disparu depuis plusieurs années, avec lequel nous n'avons jamais pu il y a dix ans développer une magnifique histoire qu'il avait écrite sur son pays d'origine, le Maroc,- son héros était un officier colon lucide sur la perte de l'"Empire"-, était un amoureux inconditionnel et exclusif du cinéma muet.

Pour lui - il le disait avec un plaisir intense de la provocation, mais il le développait avec des arguments serrés -, le cinéma s'était définitivement perdu à l'avénement du parlant, à la fois stylistiquement parce que la parole et le son n'apportaient rien que l'image ne puisse dire et montrer, parce que l'intensité du jeu, des regards, de la lumière suffisaient à raconter, mais aussi parce que, pour lui, le cinéma était un divertissement populaire, qui s'offrait dans une salle de cinéma, avec un pianiste simple accompagnateur, avec des doubles programmes et des séances de communion d'un public  dans une soirée de fête.

Comme chacun assume ses contradictions, il était devenu un exégète remarquable de cette époque du cinéma et organisait avec brio des projections de cinéma muet ( jusqu'au festival d'Avignon, il y a bien longtemps), et avec des orchestres et des musiques parfois créées spécialement pour une projection. La contradiction était bien sûr que la redécouverte de chefs d'oeuvre qu'il opérait, pour féconde et indispensable qu'elle fût, ne pouvait avoir sur un spectateur "contemporain" le même impact que le cinéma populaire dont il était chantre.

Et, bien sûr, il n'était pas dupe de cette contradiction; il en jouait.

Il pouvait même être d'une mauvaise foi insigne, mais argumentée, lorqu'il vilipendait des cinéastes qui avaient eu le tort de naître trop tard. idem, évidemment, pour comédiens ou comédiennes -non, je veux dire stars.

Il avait toujours une dent très acérée contre la nouvelle vague, et son représentant le plus détestable, Jean Luc Godard. Au moins Truffaut s'essayait à raconter des histoires,mais Godard...

Nos débats furent vifs. Mais je m'en souviens comme vivifiants - retrouvant ce qui fut mon école, les débats de ciné club, que j'ai suivi, auxquels j'ai participé, jusqu'à les organiser ( mon dernier débat en tant qu'organisateur au ciné club étudiant de Nantes fut, dans une salle qui s'appelait le Versailles autour de "La diablesse en collant rose" de George Cukor - contrairement à des idées reçues, nous ne nous nourrissions pas que de Bergmann et Antonioni).

Mais, évidemment, je n'ai jamais pu adhérer à la thèse de C. qui ne voyait que décrépitude dans le cinéma moderne.
Et, pourtant, j'ai l'impression que le cinéma, dans sa consommation actuelle, n'est plus - très très majoritairement en tous cas - que du "cinéma populaire". Et je ne crois pas mépriser ce cinéma là. J'ai seulement un goût différent, et un goût d'amertume quand je me retrouve - rarement - dans un cinéma à voir un Tarantino (pour prendre le dernier exemple de film très bien fait et en même temps totalement insignifiant) au milieu de gens qui se sont achetés un gigantesque pot de pop corn ( comment peut on ingurgiter tout ça?) dans une séance qui est manifestement pour eux un pur et vrai divertissement.

Le cinéma serait il revenu à ses origines, celles qu'aimait C.?

Il serait impossible désormais de croire que le cinéma est un art novateur et pas seulement l'industrie qu'il a toujours été, sauf à être dans une tribu de Hurons défendant une "certaine idée" d'un cinéma objet de pensée ( les deux plus beaux films de 2012 sont pour moi "Faust" et "Tabou" - même les Cahiers et Télérama ne suivent plus!)?

Je crois que, malgré le creux de la (nouvelle) vague, il y a une place pour un projet cinématographique profondément novateur, à la frontière de, à la marge de,  sans reconnaissance immédiate ( et surtout pas des nouveaux chiens de garde, profileurs/profiteurs de succès sur les décombres qu'ils croient fumants des idées qui les dépassent).

ASL écrivait, dans un catalogue du festival de Belfort ( du temps de Janine Bazin) "Eloge de la marge".

Elégie de la marge.

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