Ne change rien

Publié le par Michel David

     Il y a presque trois ans, j'ai tenté de produire un film de Pedro Costa dont "l'action" se serait passée à Fogo, l'île la plus déshéritée du Cap Vert (et on sait, dans le cinéma de Pedro, l'importance de la vie capverdienne). Ce fut, hélas, une tentative avortée. Refus de l'avance sur recettes, refus d'ARTE cinéma après un accueil enthousiaste de Michel  Reilhac. En gros, le comité de sélection des projets estime que des cinéastes comme Costa ou Naomi Kawase n'ont plus leur place, parce que leurs films font trop peu d'entrées en salles et une audience faible.

      Et pourtant il tourne. Pedro a réalisé "Ne change rien" qui sort bientôt. Je devais aller la semaine dernière à une avant première à la Cinémathèque, me faire le plaisir de la découverte et de revoir Pedro. Et puis une réunion syndicale qui a dangereusement traîné m'a empêché de traverser Paris. Du coup, je lis la critique signée Alain Bergala dans "Les Cahiers du cinéma" (tiens, on voit resurgir des signatures à l'occasion du changement de propriétaire. La période Frodon Burdeau est achevée).

      Je n'aime pas lire les critiques avant de voir, surtout s'agissant de "vrais" cinéastes. Et il est sûrement injuste de critiquer une critique sur un film que je n'ai pas encore vu. Mais je réagis à ce que Bergala dit  en disant que chaque plan de ce film nous pose la question fondamentale dans les limbes de la création : la croyance dans la croyance.

      Certes, mais ne peut-on dire cela de tout film où le cinéaste a sa vision du monde et sa vision du travail (celui qui se fait devant lui, en l'occurrence celui de Jeanne Balibar) comme celui qu'il fait, celui très humble, très emmerdant dit Pedro, très routinier du film en train de se faire?

      Et si croyance il y a, elle n'est pas dans le crédit antérieur accordé au cinéaste. Bien sûr, je sais que je vais voir un film de Pedro Costa ; pour reprendre l'exemple de Bergala sur le film que Pedro a fait sur les Straub, bien sûr que je sais quel est le cinéma des Straub (encore que... chacun a ses Straub, comme chacun a son Costa, etc...). Mais, dans le cinéma documentaire (pour reprendre une distinction que Bergala affirme et dont je n'ai jamais été persuadé du sens), la plupart du temps les personnages sont des travailleurs ou des "anonymes" soigneusement choisis et mis en lumière par le cinéaste : Vanda et mille autres.

      Je n'ai évidemment pas vu la séquence sur laquelle Bergala insiste, où Jeanne Balibar s'affronte avec son "maître" de chant. Mais, de ce que dit Bergala sur la manière de filmer à ce moment là, je doute que le cinéaste soit "fasciné" par cette méthode à la dure qui serait le contraire de la sienne. L'efficacité du travail du cinéaste  consiste sûrement dans le choix au tournage de ce type de plan, de cadre, sans même parler de ce qui en est retenu délibérément au montage.

      Délibérément.

      Plus en avant dans le même numéro, il y a un entretien avec Luc Moullet qui dit combien Bresson et Truffaut étaient persuadés que le documentaire était toujours faux, parce que dès qu'il y a une caméra, il y a un metteur en scène qui travestit tout. Evidemment. Mais aucun cinéaste ne renoncerait à ce terme : quand je fais du cinéma, c'est délibérément. L'intervention du cinéaste documentariste ou de fiction est délibérée. Tout grand film est à la fois de fiction et documentaire ("Tetro"). Le texte d'Olivier Père sur Costa me semble parfaitement exposer ce que ce cinéaste-là est, et "répondre" à ce faux problème serpent de mer d'une opposition qui m'a toujours paru factice.

      Voilà. Allez voir en croyance le film de Pedro Costa, avec ce titre lumineux. Et en avant jeunesse !
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