Souvenirs d'en France (2)

Publié le par Michel David

Acte manqué.

Je disais la dernière fois que une biographie, c'était toujours une hagiographie. Je m'étais promis de raconter un souvenir douloureux, montrant ma faiblesse. Et j'ai écrit au fil de la plume ( enfin, plus de la plume!) et j'ai lamentabement oublié une partie de ce que je voulais dire.

Alors, je me rattrappe.Mon enfance a été heureuse, disais je. Bien que premier de la classe, je n'étais pas le souffre douleur, ni même celui qu'on envie ou qu'on méprise, parce qu'il sait mieux ou plus vite. Mes camarades de classe - voilà, j'entre dans le vif du sujet, camarades, pas amis - venaient me voir pour des conseils. J'ai souvent aidé, j'ai fait des bouts de devoirs à la place d'autres. mais je sentais au plus une reconnaissance intéressée, pas le début de ce qui aurait pu être une amitié.

J'avais toujours l'impression de repousser, presque inconsciemment, de ne pas faire les gestes "utiles", de ne pas savoir me lier. J'en ai toujours souffert, d'autant plus que c'était un sentiment inavouable, que je me croyais obligé de garder pour moi. Et, là dessus, ma mère ne m'était pas d'un grand secours. Je n'ai découvert que très tardivement son propre secret, celui de la honte permanente de n'avoir jamais connu son père ( ma mère est née en 1919, à la fin d'une guerre!), celui de l'amour éperdu qu'elle portait à mon père qui l'avait accepté ( en 1944!) telle quelle.

Ce fut une enfance heureuse, mais où on ne parlait pas.

Et donc je ne parlais pas. Et donc je me cherchais des amis que je ne trouvais pas.

Un jour, ( je devais avoir onze ou douze ans), je me souviens avoir suivi en solex ( le lycée était en plein centre de Nantes et nous habitions dans un quartier d'usine) un camarade de ma classe. Je le vois encore, plus grand que moi, plus blond que moi ( et il n'y a pas une trace d'homosexualité refoulée!), se retournant vers moi, m'accusant de le suivre ( ce qui était vrai - mais comme si c'était un délit). Je suis resté blême, jambes flageollantes; je me souviens très précisément du lieu ( la butte sainte Anne), du moment, de ce que j'ai pris comme une humiliation. Je me souviens évidemment de son prénom et de son nom.

Et, pour couronner le tout, alors que je commençais à faire des efforts dans ma post adolescence pour sortir de cet état, je suis tombé gravement malade, je suis resté un an et demi dans un état médicamenteux de quasi somnolence. Je me souviens de cette horreur, intervenue justement au moment où je m'en sortais.

Je n'oublie pas non plus qu'en ces temps lointains, les classes n'étaient pas mixtes. Ma première classe mixte fut ma première classe de philo ( la première classe que j'ai redoublé, j'avais toujours eu avant une année d'avance). Il y avait cinq filles ( je ne me souviens plus combien nous étions de garçons). Et l'une d'elles s'appelait Jeanne Moreau ( je jure que c'est vrai, mais ce n'est pas la vraie Jeanne). Mais j'étais plutôt vaguement amoureux d'une autre, qui m'aimait bien, seulement bien.

C'est de cette époque là que date mon investissement politique, ma lecture forcenée du Monde ( que je lis depuis que j'ai 13 ans), mon amour du cinéma, le cocon de la salle, mais aussi l'organisation de ciné clubs - je me suis révélé à moi même en étant plutôt bon dans l'organisation - ce fut utile en 68, pour avoir en tête les numéros de téléphone de 5 à 600 personnes, de savoir organiser des manifs, de savoir conduire une grève ou tout simplement une campagne électorale - celle de novembre 1967 où notre liste fut élue sur le seul mot d'ordre que garçons et filles pouvaient de leur libre choix se fréquenter dans les cités universitaires - ludisme, ironie, profondeur politique, simplicité de l 'action.

Voilà, je viens de verser directement dans l'autosatisfaction. Ces actions étaient elles un substitut à ma souffrance? Sûrement. Et alors? J'ai mis longtemps à me dire: et alors?

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