Mardi 29 septembre 2009, Saint Michel, archange.

Publié le par Michel David

    

     Tous les matins, depuis mon adolescence, j'écoute Europe 1. Je l'écoute comme un symptôme de la société, jamais je n'en ai fait ma seule source d'information. Je lis religieusement Le Monde depuis que j'ai 13 ans.

      C'est même une contradiction violente d'écouter Europe 1, parce que je n'aime pas le gratuit (c'est-à-dire ce qui est lié aux capitaux publicitaires). Jamais je ne lis de journaux gratuits ; je ne les touche même pas - ça salit les mains et l'esprit. J'écoute Europe 1 assidûment depuis la guerre de six jours et les reportages de Julien Besançon (j'étais malade et j'écoutais toute la journée).

      Par fidélité (?). Sûrement. Parce que j'espère savoir assumer mes contradictions, là où tout voudrait nous faire penser dans les termes de la "pensée" dominante (noir/blanc, bien/mal !!!!).

     Donc, j'écoute présentement l'ex-jeune loup devenu vieux jeune loup, Marc-Olivier Fogiel. Très rigoureuse mise en scène de l'information. Chaque "tranche" de demi-heure commence par l'information sérieuse (il faut entendre sérieuse par informations données conjointement par MOF et un journaliste de la station), se poursuit par une interview faite par MOF (mi people, mi frivole, mi... n'importe quoi) de ce ton ex-jeune loup tellement respectueux de l'establishment qu'il faut faire semblant de le secouer un peu, comme on secoue une bouteille d'Orangina pour en "trouver la pulpe", et se termine par un billet d'humour (en une heure et demie l'hilarant glauque Stéphane Blakowski, le poussif - nouvelle (!) recrue - Guy Carlier, l'inimitable Nicolas Canteloup, et la "polémique culturelle" - la culture ne mérite plus que polémique).

      Entre pub et ce "reste", l'info "sérieuse" se résume, sur trois heures d'antenne, à cinq fois 7 à 8', où les mêmes sujets sont repris plusieurs fois. Evidemment, l'info est totalement auto-centrée sur la France (le changement de gouvernement au Japon - rien du tout ! - évoqué en une brève et un éditorial de 2'), privilégie le fait divers, et les politiques sont guignolisés en permanence.

      La revue de presse, où officie un journaliste qui fait, dans son ton, preuve d'ironie (pas d'humour - non, d'ironie - c'est autrement dangereux), a été avancée d'une heure, avec beaucoup moins d'auditeurs.

     Evidemment, le ton humour caustique domine. Tout le monde a désormais été formé à l'école Canal, où s'en donner à coeur joie sur tout le monde, les politiques les premiers, permet de ravaler tout ce monde plus bas que terre - en tous cas plus bas que nous, journalistes, qui sommes les nouveaux penseurs. Contrairement au bouffon du roi dans un régime monarchique (où le bouffon n'était qu'un amuseur pour une personne, et qui pouvait opportunément disparaître à tout moment), la guignolisation du monde entraîne une nouvelle dictature de la pensée, une robotisation, un rythme de parole, un papillonnage permanent, un abrutissement, une non-réflexion.

      Plus les nouvelles du "monde" sont inquiétantes - anxiogènes (!), plus nous avons "besoin" d'humour, nouvel opium du peuple (au fait, pourquoi les Nordiques, qui ne sont pas spécialement des marrants, sont-ils plus "heureux" que nous (si le bonheur a un sens) ?)

      La seule et unique personne que, dans ce flot de paroles inutiles, MOF se soit permis d'insulter (puisque c'est sans aucune conséquence - au nom de la liberté de la presse ?), c'est Julien Coupat - anarchiste-de-Tarnac, dont l'interview au Monde a été qualifiée de texte "délirant" (je n'invente pas). J'imagine que Julien Coupat doit se satisfaire d'être seulement insulté et psychiatrisé là où un Pinelli est défenestré.

      Voilà pourquoi j'écoute Europe 1, pour me rendre compte du monde dans lequel on vit. Dans celui où tout problème un peu complexe (la science, l'histoire, les subprimes, les retraites chapeau, les paradis fiscaux - toutes entités bizarroïdes et mal définies) est évacué, nié. Dormez, braves gens.

      Tout cela n'a rien de neuf, sinon dans la forme immédiatement visible de la mondialisation-contre-laquelle-on-ne-peut-rien (surtout pas de la penser).

      Rapprochons ce que je viens de dire de notre métier. Samedi dans Le Monde radio télé, Macha Séry gaspille deux pages pour dire tout le mal de ces émissions trash qui encombrent les antennes de la rentrée. J'attends (je risque d'attendre) une analyse de ce "mercato" - encore un mot - ébouriffant, où une toute petite classe médiatico-journalistique se complaît dans des renvois d'ascenseur. J'attends (je risque d'attendre) qu' "on" se demande comment Laurent Delahousse a pu réaliser l'été dernier dix documentaires (ce qu'il a eu le temps de déclarer à France Inter), comment Serge Moati a le temps de réaliser (par an !) je ne sais combien de fictions, de documentaires, d'émissions, de prises de parole - y compris, j'y reviens, une fois par semaine, un éditorial avec MOF, comment les nouvelles vulgates sont répétées à satiété, sans aucune contradiction (Cécile Duflot et son ton péremptoire - sachant tout, y compris le degré aujourd'hui du réchauffement climatique - je crois me souvenir d'1,4 °C, qui dit mieux, 1,432 ?). J'attends ?

      J'attends (je risque d'attendre) qu' "on" analyse avec la même rigueur tous les documentaires que des auteurs-réalisateurs mettent des mois, souvent plus, à fabriquer/ penser. Et qui ont le grave, le très grave inconvénient, non pas de démontrer ce qu'on veut démontrer (il est toujours facile de coincer quelqu'un qu'on veut abattre - n'importe quel journaliste est capable de le faire), mais de montrer, et de se laisser surprendre par ce qui est à montrer. J'attends (je risque d'attendre) que ce travail d'analyse soit fait en toute indépendance d'audience, de notoriété, de sujet.

      Ou plutôt, comme le dirait Guillaume Prébois, le monde (et spécialement le monde vu de France) se divise entre ceux qui font et ceux qui critiquent ceux qui font. Jamais, je ne monterai sur un vélo comme Guillaume Prébois, mais il a fait ce qu'il devait faire, en se foutant du reste.

      En s'en foutant, mais en ne pensant pas moins.

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S
<br /> La plume au vent, le vent en poupe.<br /> Chronique savoureuse, parole précieuse, la suite svp!<br /> Julie S<br /> <br /> <br />
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