Mud, fille du 14 juillet, Ilo Ilo, inconnu du lac

Publié le par Michel David

Pourquoi est ce que je me suis profondément ennuyé à voir Mud?

Il s'agit pourtant d'un "bon" film, bien joué, "bien"écrit, avec les ressorts dramatiques qui marchent à tous les coups ( le rencontre entre deux enfants et un adulte, et donc l'éternel problème de l'apprentissage de la vie).

Donc, tout devrait faire qu'on passe un bon moment. Et d'ailleurs , malgré plusieurs fins qui n'en font plus finir le film, on passe un bon moment. Dans le temps de vision du film, sans doute, mais dès que la lumière s'est rallumée, on voit bien ce qui pêche.

Je crois que le public ( en général, pas moi en particulier) a découvert beaucoup plus vite que le film ( que les scénaristes) la relation père fils entre l'homme traqué que les enfants aident et le vieil homme de l'autre côté de la rivière.

Et pourquoi? Parce que le public de 2013 est "formé" ( ce qui peut vouloir dire déformé) grâce au flot d'images qu'il subit, grâce aux ressorts dramatiques qui resservent souvent ( ce qui, en ce sens, d'ailleurs rassure le spectateur).

D'une certaine manière, le public de cinéma est définitivement averti et formé à l'image animée, n'est presque plus jamais surpris ( et ne le demande pas ou plus).

Cet échec de la fiction vient de cette accumulation. Nous ne sommes plus et nous ne pouvons plus être au temps de l'âge d'or du cinéma américain, qui a su raconter des histoires en les renouvelant toujours pour un public à l'oeil neuf - et, ajoutons, à une époque où le cinéma avait l'exclusivité de l'image animée, qu'il a irrémédiablement perdu.

Ilo Ilo, film qui a obtenu la Caméra d'or à Cannes (!!!): la mère dans le film apprend à sa bonne philippine comment, dans une Singapour à l'espace restreint, on pend le linge à la fenêtre sur de grandes perches. Le spectateur sait donc qu'un incident qui aura un sens dans la dramaturgie du film va se produire ultérieurement autour de la chute d'une perche. Notre innocence de spectateur est perdue - ce n'est ni l'héroïne,ni l'histoire,  ni le linge qui l'est.

Bien sûr, le cinéma de fiction est conscient de cet écueil. Et s'est lancé dans deux pistes principales pour tenter d'y répondre.

- le spectaculaire: effets spéciaux, cinéma de genre, etc...retrouvant ainsi les origines du cinéma populaire du muet, le divertissement, ceci dit sans aucune forme de mépris - au contraire d'admiration. Mais, de nos jours, ce n'est qu'une tentative du toujours pareil avec toujours plus.

-le réel. La volonté de nombre de cinéastes de faire entrer dans la fiction la qualité du documentaire ( dont une partie des cinéastes ont même compris que le documentaire n'était pas l'enregistrement du réel).

Mais l'écueil est autre: le réel mis en scène a une force d'impact que ne peut avoir l'artifice de la fiction.

Deux films français récents montrent ces écueils.
La fille du 14 juillet est un échec total. Prendre ( comme si c'était des images télévisées)  deux défilés consécutifs du 14 juillet en les accélérant pour les rendre ridicules ( ça fleure bon son populisme) ne démontre que l'irréalisme d'un projet, raté pour plein d'autres raisons, y compris celles de la citation de films précédents de l'histoire du cinéma - voyez comme je suis cultivé.

L'inconnu du lac est un pur joyau. Il n'arrête pas de malaxer son réel ( le lieu unique, le décor, la temporalité de la tragédie, les sentiments de tous ces hommes qui inscrivent leurs corps dans le champ). Mais il le dépasse complètement. Parce que, dans chaque plan de son film, Alain Guiraudie a un projet: faire en 2013, de manière complètement contemporaine, un film classique.

Guiraudie, c'est notre John Ford - ce que Brisseau a tenté, mais il s'est perdu en route.

Ces deux exemples montrent bien que le réel a bouleversé la manière de faire.

Toute tentative de faire un cinéma "pauvre" mais restant dans des codes et recettes antérieures est voué à l'échec. De même que croire que les "nouvelles" techniques ( la démocratisation de l'outil, les modes de consommation radicalement différents) amèneraient à elles seules un renouveau est vain.

Le monde des paillettes de Cannes perdurera, comme un mirage "hors sol", comme une industrie dominante déconnectée du réel ( comme la finance), de même que la télé ou les flux qui ont induit un formatage de toutes les écritures.

Seul le cinéma documentaire en immersion longue dans un sujet ( attention aux faux semblants de l'immersion journalistique qui sait par avance ce qu'elle va trouver) est une impérieuse nécessité.

Et c'est une affaire de morale ( il est temps en 2013 de revenir à Rivette). A la bonne distance filmeur/filmé, au respect respectif du filmeur et du filmé, seul apte à dégager une vérité, ce qu'on ne veut ou ne peut pas voir.

Et la fiction sortira du purgatoire dans laquelle elle est tombée lorsqu'elle aura compris intimement, dans sa chair, comme Guiraudie et ses "personnages", qu'il faut partir de ce réel.
Exclusivement de ce réel.

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