Le rire n'est pas le propre de l'homme

Publié le par Michel David

Il y a avait longtemps que j'avais envie d'écrire sur le rire et le comique, alors que j'ai à plusieurs reprises insisté sur la nécessité du tragique ( à opposer au drame) en notre temps.

Peut-être est ce plus difficile, parce que le tragique conduit à une fin inéluctable, que l'on sait, que c'est atroce de savoir, mais il y a un "savoir". Ce n'est pas le cas avec le comique.

Et puis j'ai trouvé il y a quelques jours dans "Le Monde" un article sur un acteur ( qui récuse justement les termes de comique ou d'humoriste), belge ( déjà drôle, n'est ce pas?)  Jos Houben. J'ai déjà dit combien ma cinéphilie quasi exclusive m'avait pendant longtemps fait ignorer beaucoup d'arts, notamment le théâtre. Et j'apprends que cet homme arpente les scènes depuis vingt ans, en galérant comme il se doit au début. Je ne l'ai jamais vu et je ne peux en parler qu'à travers cet article et ses citations.

" C'est vrai que se développe aujourd'hui une forme de comique très alimenté par la machine télévisuelle, qui abaisse l'homme, et qui repose sur l'exclusion de l'autre. Alors qu'il s'agit de rire de nous, de notre commune aventure humaine, de ce mouvement perpétuel, presque musical, entre notre chute et notre désir d'élévation... et d'atteindre par là une forme de grâce".

Son spectacle s'appelle "L'art du rire" ( grande ambition). Peut-être que ça ne ma plairait pas, mais ce que j'en lis donne envie.

Je vois bien qu'il y a une tentative - même si elle est inaboutie, cette ambition vaut le déplacement - de construire le rire sur le corps, sur les déplacements du corps, sur l'animalité ( y compris - peut-être-  effrayante). Le rire vient non pas de la parole ou de la parodie ou de l'imitation comme voudraient nous le faire croire nos comiques "contemporains", mais du ventre, de la respiration, de la désarticulation.
Et de la nécessité d'inscrire ces éléments dans un rythme très particulier, qui n'est surtout pas celui de la chute - j'entends par là non l'éventuelle chute d'un corps, mais la fin d'un sketch -, mais qui est le rythme du déséquilibre, de la surprise permanente pour le spectateur, du piège qui lui est tendu.

Un burlesque ( donc un comique) c'est un corps dans un espace. Et ce n'est que ça. Sauf évidemment que chaque grand comique trouve son espace à lui, ou plutôt sa propre manière de l'habiter.

Et c'est d'ailleurs sans doute pour cela que j'avais des difficultés à écrire sur le comique. Parce que, une fois qu'on a développé ces notions de corps, d'espace et d"habitation" particulière à chacun, qu'est ce qui fait que je ris beaucoup à Buster Keaton ou à Harry Langdon ou, au parlant, aux Marx brothers, et moins à Chaplin?

Je sais bien ( je vois bien) que Chaplin est un immense auteur, mais les folies désarticulatrices de Keaton ou de Langdon ( et les espaces qu'ils créent - parce qu'ils créent une "Générale" ou une immense tour avec une horloge machiavélique) me convainquent, mais surtout me font rire.

Quand je vois Chaplin jouer avec la mappemonde pour parodier Hitler, je suis évidemment sensible à la force politique, à la proposition artistique même, mais je vois "trop" le dispositif, la mécanique.

Je n'y vois pas finalement la force comique - et donc tragique pour moi- de cette "Générale" fonçant à tombeau ouvert vers l'infini, assumant, revendiquant le désastre.

Voilà; le comique, c'est l'acharnement à se désarticuler et à désarticuler le monde.

C'est aller tout droit vers le désastre.

Magnifique programme, dans lequel je vois un vrai sens politique, une corrosion de l'esprit.
Une corrosion, bien loin, très loin, à l'antipode même, de la dérision revendiquée par "nos comiques contemporains".

Je recommande chaudement à mes lecteurs fidèles (!) un  petit livre d'un philosophe, François L'Yvonnet " Homo comicus, ou l'intégrisme de la rigolade" ( Fayard), où celui-ci analyse cette "dérision", qui ne grandit personne, qui rabaisse les hommes et la pensée, qui est l'inverse de tout esprit de résistance, et est même une preuve de complicité et de servilité avec le "système".

Tous ces Guillon, Canteloup, Alévêque et tous les jeunes loups qui rêvent d'une prébende à Canal ou chez Ruquier sont des gnomes, à côté des géants que sont tous ceux que j'ai cités auparavant.

Je vais m'attacher à voir Jos Houben - j'espère ne pas être déçu.

Ou plutôt j'espère trouver le sentiment que, au milieu de mille choses indigestes, il y a de la grâce.

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