Amerika Amerika

Publié le par Michel David

Il a fallu que j'ai plus de 65 ans pour mettre pour la première fois le pied en Amérique.

Dans toutes les histoires d'émigration que j'ai vues, revues ou lues - et c'est une constante d'aller vers un "meilleur" ( longtemps le titre du dernier film de José sur les Roms s'est appelé "Les chercheurs de vie meilleure") -, j'ai toujours été intrigué par cette envie d'Amérique.

Je crois comprendre, même si je ne l'ai jamais vécue, la misère qui pousse à ce rêve, le peu que savent les migrants sur leur pays d'"accueil", l'occultation qui est faite des processus d'exploitation pendant la migration et après, quand il s'agit de rembourser au centuple, et pas symboliquement. Mais je n'arrive pas à admettre cette envie d'Eldorado, même s'il s'agit d'un rêve enfoui, inavoué parfois.

J'ai l'impression aussi que ma fréquentation assidue du cinéma américain m'a détourné du rêve. J'ai l'impression, sans y être jamais allé, de bien connaître cette civilisation, les grands espaces que l'homme "dompte" - c'est à dire qu'il écrase bêtes et Indiens -, la violence des rapports sociaux, l'individualisme forcené, la croyance enracinée qu'"on peut se faire tout seul", qu'à force de travail et (ce n'est pas dit comme ça) de brutalité, "on peut y arriver". Mais qu'est ce que c'est que "y"?

Je suis nourri du cinéma américain, j'y vois - et c'est évidemment l'envers de la médaille - que les contradictions violentes de cette société sont sinon résolues ( comment le seraient elles?) mais exposées, quelquefois sans que les cinéastes en soient conscients, parce que, une fois de plus, un grand film est plus grand que les intentions de son auteur. Et, c'est vrai, les cinéastes américains savent montrer, savent voir, savent dire avec un langage cinématographique. Et il arrive que ce langage soit universel. Le succès du cinéma américain, comme la longue domination de la puissance militaire et économique des Etats Unis, n'est pas un hasard.

L' Amérique pour moi, ce n'est pas l'histoire à l'eau de rose virant à la tragédie de la saga Kennedy, c'est ma participation aux comités Viêt nam. Hier, par pure nostalgie, je suis allé voir le film de Jacques Perrin, honnête homme, "l'empire du milieu du sud".

Dès ce militantisme anti américain, dès cette conscience que le colonialisme français avait resurgi sous une autre forme pour asservir un peuple, je m'étais promis de ne jamais mettre les pieds aux Etats Unis. Défi à soi même tenu. J'ai toujours trouvé qu'il fallait se faire des défis comme ça ( un autre: ne jamais entrer dans un Macdo. J'ai hélas violé cet interdit une fois il y a une dizaine d'années à Budapest, je m'en veux encore).

Et ce défi s'est étendu - et là ce n'est pas rationnel- à toute l'Amérique. J'ai finalement pas mal voyagé en Europe, mon continent, beaucoup en Asie du sud et du sud est, et jusqu'à il y a quinze jours, jamais en Amérique.
J'ai choisi l'Amérique douce. Montréal. Je profite du fait que le film de José est sélectionné aux rencontres internationales du documentaire de Montréal pour y aller, d'autant plus qu'une amie de jeunesse ( nous avons à peu près le même âge et nous nous connaissons depuis que nous nous sommes rencontrés à Avignon vers nos vingt ans) y habite depuis... 1982 et que je ne suis jamais allé la voir. Je me souviens de sa difficulté à s'insérer à Montréal; il lui a fallu plusieurs années pour s'intégrer, elle fille de sa terre algérienne, mariée à un Libanais. Je me diisais que je serais comme elle, je ne comprendrais pas.

Elle vient me chercher à l'aéroport.Il fait nuit; donc pas beaucoup d'impressions. Je lui dis que je ne fais pas comme le pape ( le guignol d'avant le gnome actuel) quand il arrive pour la première fois sur une terre. Je ne baise pas la terre.

Lendemain matin. Elle me fait visiter. Elle habite un quartier avec exclusivement des grandes maisons, avec des grands jardins, beaucoup d'espace autour. Nous prenons une avenue et je me vois immédiatement dans ce film d'Hitchcock où les couleurs des arbres sont intenses, jaune violent, orange. Chaque maison a son tas de feuilles mortes. Trois jours après, je ferai dans le quartier une marche d'une heure et demie. J'ai croisé trois personnes à pied, dont deux femmes métisses ( Philippines?) allant manifestement faire des ménages ou travaux de ce genre.

Montréal au centre est divisé en deux, la partie anglophone avec des gratte ciels, la partie francophone avec peu d'immeubles, une majorité de maisons à deux ou trois étages au plus ( avec des beaux escaliers - je pose la question du pourquoi de ces escaliers si peu commodes en temps de neige, personne ne peut répondre à ma question de Huron).
Je fais beaucoup rigoler une jeune femme du festival quand je lui dis que je vois trop de ciel, que les boulevards paraissent larges parce que les immeubles sont bas. Au fond, j'aime le haussmanien, les rues étroites. Ce gigantisme, tout est grand ( la ville est sur une île qui fait 50 km sur 10!), ce n'est pas pour moi. Ma copine ( dont je constate que le sens de l'orientation n'est pas son fort) ne se déplace qu'en voiture. Je décide de prendre le métro.

Et pourtant. Les Montrélais sont, pour ce que j'en ai vu en 5 jours, très directs dans les rapports. J'en veux pour preuve la présentation du film de José ( deux salles, certes pas très grandes, mais combles). Et après, pas un débat. Nuance, une "séance de questions réponses". Jamais vu ça. Des gens qui ne font pas 50 circonvolutions pour poser leur question, que ce soit sur le film ou sur les Roms ou sur la politique en Europe vis à vis des Roms. Questions directes, concises, précises qui permettent des réponses du même acabit et un vrai échange très fructueux et très chaleureux.

Avec le mari de mon amie, nous allons dimanche matin dans "Little Italy". Je découvre la force du communautarisme, un quartier chinois délimité par de vraies arcades d'entrée, un quartier libanais ( je bois un mélange de fruits étonnant), un quartier italien. Un chef mafieux vient de se faire assassiner il y a trois jours,tout est calme,  le café est très animé, mais comme à son habitude.

Nous allons dans une boutique, une femme s'approche de moi et me félicite sur l'odeur de mon après rasage. Amérique, tu me surprends.

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