Le charisme du tonneau

Publié le par Michel David

Dans un blog précédent, j'ai utilisé cette formule "le charisme, cette bête immonde".

Elle m'est venue au fil de la plume - du clavier d'ordinateur, puisque je n'utilise plus que rarement, hélas, ma belle plume et mon beau stylo -; après l'avoir écrite, en me relisant, je me suis dit que c'était un peu forcé. Et j'ai préféré laisser la spontanéité de ce que j'avais pensé en écrivant.

Je me suis toujours méfié du charisme. De ce sentiment que quelqu'un dégagerait une puissance, une énergie , une intelligence qui entraînerait. Vers quoi? Vers qui?

Je remarque que les grands savants sont inconnus; les grands penseurs tout autant. Le dernier prix Nobel attribué à un Français nous a valu deux minutes d'explication à la télé sur ce qu'il faisait - sans que personne évidemment n'y comprenne quoi que ce soit.

Et je pense qu'il y a une jouissance à rester caché, à s'affirmer - pour soi - qu'on est sur une bonne piste ( comme le chercheur qui doute, qui se fraie un chemin qui n'est pas forcément le bon, qui échoue). Mais est- ce, dans ce cas, un échec? Non, je ne le crois pas.

Peut-être être reconnu d'une cinquantaine de personnes pour ce qu'on fait est insatisfaisant aux yeux du plus grand nombre; peut-être est ce une immense position d'orgueil de se sentir inconnu; mais, pour ma part, je préfère mille fois cette "position" à celle de la grande gueule.

Diogène, dans son tonneau ( pour peu que ce symbole ne soit pas une invention!), était, sinon inconnu d'une société qui était beaucoup plus restreinte en nombre que notre planète, mais, quand même, a développé sa philosophie sans qu'elle émeuve spécialement ses contemporains.
Et ceux qui ont une pensée très corrosive - la critique de la démocratie athénienne par un Athénien! -, Socrate, sont condamnés à mort. Dans le cas de Socrate, à la cigüe; dans le cas de notre prix Nobel, à un silence assourdissant, sauf la reconnaissance de ses pairs.

Ceci est un plaidoyer pro domo sans doute, un orgueil de n'être pas reconnu ( et, sans doute, certains qui ne liront pas ce blog, ou même qui le liront, ne seront pas d'accord avec ces assertions péremptoires). Sûrement.

Mais être enfermé dans mon tonneau, alors même que j'ai l'impression de vivre et de travailler en sursis permanent, me rend au moins libre.

Après tout, le charisme a conduit à tellement d'erreurs - et des plus tragiques - que ce "basisme" ( pour prendre un vocabulaire qui  n'est pas le mien) me conforte et  que je crois que j'ai raison de me méfier du charisme comme de la peste.

Et notre société contemporaine, extrêmement individualiste, voulant un résultat tout de suite, prête à suivre la dernière mode, me rend encore plus méfiant.

Qui a du charisme? Bernard Tapie, Lance Armstrong, n'importe quelle star de la télé, d'un cinéma devenu objet de marketing ou de la musique ( les Rolling Stones hier se dédouanant par un petit concert privé de faire payer des gogos 500 euros une place)? Etc...

Ou plein de gens modestes qui vivent modestement des histoires ordinaires et que des circonstances exceptionnelles révéleront à aux mêmes ( de la Résistance à la révolution).

Ou Heiner Goebbels, homme de théâtre, dont je viens de voir hier soir au Festival d'Automne une pièce composée de textes de Gertrude Stein à Jean Jacques Rousseau, avec 35 jeunes filles de 13 à 15 ans sur le plateau , très profondément intelligent et troublant. Un spectacle qui ne crie pas gare.

Ou mon grand père, que je n'ai pas connu parce qu'il est mort quand j'avais trois ans, et qui a fait dans son village natal un peu de résistance -passive, qui plus est ( et dont je ne sais pratiquement rien): avait il du charisme?

Sans doute pas. Tant mieux.

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